La premiere fois

PA est motard… Sa moto étant son seul véhicule, j’ai dès le début de nos rendez vous fait la connaissance avec la machine et petit à petit, je découvre cet univers à part qui m’était jusqu’alors totalement inconnu. A vrai dire, j’étais même complètement indifférente à ce mode de déplacement, loin d’imaginer le genre de communauté qui se cachait derrière. En fait, pour moi, un motard n’était que source de bruit et synonyme de stress en voiture, toujours à doubler n’importe quand et n’importe comment, toujours à fond et à prendre des risques inutiles. Les seules bécanes que je connaissais étaient les Harley Davidson, Yamaha n’étant pour moi qu’un facteur d’instrument de musique, Honda un personnage du jeu vidéo Street Fighter, une « suze », loin d’être le diminutif de « suzuki », un apéritif à mon goût dégueulasse, et Ducati ne m’évoquant qu’une vieille marque de voiture, probablement en raison de mon esprit quelque peu dyslexique.

En d’autres termes, j’étais une noob de la moto

Mais PA est motard. Il fallait donc que je me mette un minimum à niveau. Il me tannait depuis longtemps pour que je monte avec lui, que je sois sa passagère, son « sac de sable », afin que je partage un peu de sa passion. Courageuse mais pas téméraire, trouilleuse de première, j’esquivais le sujet dès qu’il se pointait, ayant notamment dans mon panier à excuses un argument implacable : nous n’avions pas de deuxième casque ! Pas de bras, pas de chocolat, pas de casque, pas de ballade suicide en moto ! Parfait… cependant, c’était sans compter sur l’œuvre d’obscures forces occultes qui fit qu’apparu un beau jour le casque tant évité.

Ainsi le piège lentement se refermait et la pression commençait à me faire céder.

Ce dimanche, il faisait beau sur le Tampon et il régnait une douce atmosphère. Nous étions seuls après un week-end familial animé, et l’humeur était au repos. Jusqu’à ce que notre blague récurrente refit surface « On va faire un tour en moto ? » Ricanements. Silence. Hésitation. « Sans rire ? » Peu assurés, le regard cherchant jusqu’où l’autre était sérieux, nous voilà à la recherche des détails logistiques qui pourraient coincer. « T’as pas de blouson » « J’ai mon pull » « Attend j’te prête des chaussures » « Non mais ça va, on ira plus tard quand on sera mieux équipés ». On hésite, on marche sur des œufs, la scène paraît irréelle tant on a pu en parler en blaguant sans y croire, et que subitement, là, tout semble devenir concret. Oh et puis zut, on se lance.

Dès les premiers mètres, l’appréhension me gagne. Je me crispe, agrippée à mon conducteur malgré ma détermination. J’accueille des sensations que je n’avais jamais connues, et j’essaye tant bien que mal de demeurer calme malgré la peur qui cherche à me gagner. Je veux tout arrêter tout en voulant continuer, avide de nouvelles expériences tout en souhaitant ne pas les vivre. De ce paradoxe naît un sentiment de vide, de lâcher prise, d’abandon, j’ai l’impression de flotter dans une autre dimension et soudain je réalise que ce serait tout de même ballot de tomber dans les pommes ou de relâcher ma vigilance.

Car nous sommes sur la voie rapide en direction de Saint Pierre et je prends d’un coup conscience de la situation, me demandant ce que je fabrique là, à califourchon sur un engin que je ne vois qu’à peine en raison du casque, sur lequel il n’y a qu’à peine la place pour deux, et qui file à plus de 100 km/h. Je me sens à poil. En chute libre. Aussi vulnérable et inconsciente qu’un moucheron à proximité d’une lampe halogène. Seule l’étreinte de mon pilote me permet de me relier à la réalité. Je serre tant que je peux, plus pour ma rassurer et faire atterrir mes pensées qui s’emballent que par réel souci de garder mon équilibre et ma stabilité.

Premier arrêt pour vérifier ma couleur et mon état. Réajuster mon casque aussi qui, trop grand, manque de m’arracher la tête à chaque accélération ou pointe de vitesse. J’ai mal au cou, les jambes flageolantes, et je sens PA qui me jauge du coin de l’œil. Besoin d’une cigarette, ou de n’importe quoi d’autre pour me calmer et résister à la peur, mille et unes pensées d’accidents potentiels me traversant l’esprit à vitesse éclair. Panique. Mais je veux aller plus loin.

PA hésite, mais je le laisse me guider. Je ne maîtrise rien, alors je l’écoute, m’applique à suivre ses conseils et essaye de m’abandonner dans sa confiance.

Nous roulons à présent sur les hauts de Saint Pierre. Pour me détendre, j’essaye d’apprécier le paysage, fixant l’horizon, considérant l’étendue de l’océan, apercevant Petit Île, profitant du temps ensoleillé… Mais rien n’y fait, je ne peux m’empêcher de toujours revenir à la route, suivant chaque mouvement, chaque dépassement, observant les comportements, les gestes, demeurant aux aguets. La route m’est pourtant familière en voiture, je ne m’y sens pas particulièrement inquiète ou en insécurité, habituée à rouler et me sentant maître de mon véhicule. Là, tout est différent. Tout m’apparaît bizarrement étranger. Je suis comme dans un monde parallèle à celui que je parcours d’habitude, un autre espace temps similaire mais distordu, avec d’autres règles et d’autres repères.

Je sens la main de PA sur la mienne, rassurante, qui encore une fois me ramène les pieds sur terre. Doucement, il ôte ma main accrochée à son ventre et tend le bras pour me montrer que je pouvais me lâcher sans risque. Je me sens mieux, les craintes tenaces se dissipant légèrement.

Nous nous arrêtons. Nous sommes arrivés à la plage de Grand’Anse, endroit exotique et enchanteur que j’adore, bout de carte postale avec son sable clair et ses cocotiers. Sans la foule et un bruyant meeting politique, j’aurais pu me croire arrivée au paradis… « C’est fini ? Je suis enfin morte ? ».

Cette halte salvatrice me permit de faire un premier point et de me regonfler pour le retour. J’essaye de trouver la meilleure position pour ne pas gêner ni être gênée, distribuant malgré moi les coups de casques à chaque mouvement. Le vent s’engouffrait dans mes vêtements à me les arracher, je sentais ma tête ballotter, mon cou tiraillé, et mes genoux gémir à chaque dépassement, persuadée sans raison que j’allais me prendre un rétroviseur au passage. Bref, niveau technique, faudra repasser (^_^; !

De retour, nous nous retrouvons à la maison tels qu’à notre décollage : seuls. Rien ne semblait avoir bougé durant notre absence, pas même le chat. Tout ceci aurait pu n’être qu’un rêve, si ce n’était cette douleur lancinante sur le cou et les épaules, elle bien réelle.

Ce fut une petite promenade dominicale en apparence insignifiante mais qui fut pourtant tellement intense et pleine de symboles. Un moment rien qu’à nous, un moment de partage voire de communion, durant lequel nous étions seuls au monde. Un exercice de confiance mutuelle aussi. Et une mise à l’épreuve pour moi par rapport au dépassement de mes craintes et de mes angoisses.

Ce fut ma première fois…


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